Opéra Online – Rencontre avec Marie-Nicole Lemieux
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Après avoir été Lauréate du prestigieux Concours Reine Elizabeth de Belgique en 2000, la contralto Marie-Nicole Lemieux a entamé une carrière fulgurante, et s’est vue invitée par les plus grandes scènes internationales, comme récemment au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles pour Un ballo in maschera (en mai dernier) ou aux Chorégies d’Orange pour Il Trovatore (au mois d’août). Au-delà de la rareté de sa tessiture et de la beauté de sa voix, elle se distingue aussi par son énergie débordante, sa grande générosité et sa joie de vivre communicative – qualités que nous avons pu vérifier lors de cet entretien réalisé à Montpellier, où la chanteuse canadienne donne deux récitals entièrement consacrés à Rossini, concerts enregistrés par le label Erato en vue d’une prochaine commercialisation.

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Opera-Online : La musique baroque a beaucoup compté au début de votre carrière, mais vous semblez vous en écarter peu à peu pour aller vers un autre type de répertoire ?

Marie-Nicole Lemieux : En fait, le baroque a été comme « accidentel » pour moi, je n’avais jamais envisagé qu’il prendrait une telle importance dans ma vie, même si j’adorais cette musique, et que ma cd-thèque en était remplie. Le baroque m’a permis d’aborder très vite la scène, d’y faire mes premières armes, et aussi de rencontrer beaucoup de chanteurs, de chefs et de metteurs en scène formidables. Dés mes débuts, je savais que j’avais une vraie musicalité ainsi que cet aspect « bête de scène » qui à mon avis est quelque chose d’inné, qu’on possède ou pas. Par contre, toute jeune, j’avais une voix « courte », ce qui est très bien pour la musique baroque, mais moi j’avais envie de tout : je suis une gourmande, il n’y a qu’à voir mon physique ! (rires) J’aime toutes les époques dans la musique, du baroque au contemporain, et j’aurais été très triste de rester cantonnée seulement au baroque : j’aime trop Rossini et Verdi, dont je ne peux plus me passer aujourd’hui. Je vais bientôt chanter du Puccini et même du Mahler et du Wagner, tout me plaît et j’ai envie de tout faire ! (rires)

Vous donnez actuellement à Montpellier un double récital consacré à Rossini… C’est un compositeur qui est prépondérant dans votre carrière ?

Oui, Rossini ça a été une révélation ! Ce fut un tel bonheur pour moi quand j’ai chanté ma première Italienne à Alger à l’Opéra National de Lorraine ! Comme pour le baroque, il faut faire preuve de virtuosité, mais Rossini permet de respirer, alors que le baroque beaucoup moins : il me fait « mal au corps » et me donne des crampes partout ! Bizarrement, avec Rossini, on chante deux fois plus, mais on est deux fois moins fatigué à la fin d’une représentation ! (rires) Rossini, c’est organique, c’est bien fait, et puis il connaissait parfaitement la voix, le fait qu’il ait vécu avec la Colbran ne doit pas y être étranger…

Vous êtes contralto, la tessiture la plus rare du genre lyrique…

Oui, c’est une tessiture très particulière, qui est relativement rare, et je suis donc très chanceuse ! (rires) Par ailleurs, avec mon physique, si j’avais été soprano, je pense que j’aurais eu beaucoup moins d’engagements, que j’aurais mis beaucoup plus de temps à « percer ». Je sais parfaitement qu’à mes débuts, certains metteurs en scène ne m’ont pas engagée après m’avoir vue en photo, parce qu’ils cherchaient un physique plus « consensuel », et aujourd’hui encore beaucoup sont frileux avec ça… Pour revenir à la rareté de ma tessiture, ça a je crois beaucoup compté dans mon attribution du Premier prix au Concours de la Reine Elizabeth en 2000 : nous n’étions que deux contraltos pour une cinquantaine de sopranos ! Et puis aussi, contrairement à elles, je peux aborder tous les genres musicaux, et ça aussi c’est une grande chance. La plupart des sopranos sont cantonnées dans un certain type de répertoire : le baroque, Mozart, Strauss, Wagner etc. Moi, je peux tout faire ! (rires)

Certaines de vos consœurs n’aiment pas le récital… Vous semblez quant à vous adorer cet exercice ?

Oui, ça a été mon premier amour vous savez. Dès le départ, je me suis sentie récitaliste, ce qui ne m’a pas empêchée de travailler ma voix pour le répertoire lyrique. C’est bête, mais je pensais que le récital, c’était pour les gens qui n’avait pas de voix, et je me considérais dans cette catégorie à mes tous débuts. Et puis ma professeure de chant m’encourageait particulièrement dans cette voie là, car il y a beaucoup de chanteurs d’opéra, et finalement beaucoup moins de récitalistes. Ce goût du récital vient de mon enfance, j’ai été bercée dans ma jeunesse par la variété, avec des chanteurs comme Nana Mouskouri ou Claude François, Je viens de cet univers là, je connais par exemple par cœur toutes les chansons de Céline Dion ou de Diane Dufresne : je suis un vrai juke-box ! (rires) Et je ne renierai jamais ce genre musical, car ces chanteurs m’ont donné le goût du texte. Plus tard, dans la musique classique, j »ai été chercher ce côté spirituel qu’il y a dans la musique dite populaire. Certes la musique me transporte, mais c’est le texte qui lui donne tout son sens. Le récital, c’est l’essentiel de l’art lyrique, et même de la comédie, car on a seulement deux minutes pour raconter une histoire… C’est ma propre mise en scène, et c’est de moi que ça part et qui doit tout contrôler…

Cela dit, on sent que vous aimez beaucoup la scène. On a l’impression que le jeu d’acteur est aussi important que la performance vocale pour vous ?

Oui, et justement à l’inverse du récital, on peut se permettre de négliger la voix à l’opéra : Callas le faisait ! Dans un théâtre, il faut finir sur ses deux jambes, et c’est très facile pour des natures dans mon genre de trop donner et de « mourir » sur scène. Certains chanteurs ne sont pas assez généreux, et d’autres comme moi le sont trop ! (rires) C’est ma nature, j’ai l’impression que si je ne donne pas tout, les gens ne m’aimeront pas… En fait, c’est l’intention qui doit être honnête, le fait aussi de se respecter soi-même, de gérer suffisamment bien pour ne pas s’effondrer en cours de route ! (rires) Beaucoup de gens ne s’imaginent pas à quel point c’est dur d’être sur scène : nous sommes comme des athlètes de haut niveau nous autres les chanteurs, et ça exige parfois de nous des efforts quasi surhumains ! Et enfin, il ne faut pas croire, même après vingt ans de carrière, on a toujours la trouille… même quelqu’un comme Roberto Alagna avec qui je parlais de ça justement dernièrement.

Vous sortez tout juste de représentations de Falstaff où vous interprétiez le rôle de Mrs Quickly, à La Scala de Milan. A regarder votre planning, c’est le rôle que vous avez interprété – et allez interpréter – le plus souvent…

C’est exact, c’est un rôle que j’ai interprété plus de 70 fois ! Je peux dire que c’est MON rôle, qu’il est parfait pour moi, qu’il correspond à ma nature, et que je m’y « éclate » ! Je pourrais chanter le rôle la tête à l’envers, avec une épaule cassée, malade comme pas possible quoi ! (rires) Mais pour tout vous dire, plus encore que Mrs Quickly, le rôle qui me conviendrait plus encore, c’est celui de Falstaff ! (rires) Cet opéra est un chef d’œuvre, je ne m’en lasse pas. Je viens de le faire avec Daniele Gatti à La Scala – comme vous l’évoquiez à l’instant -, et ça a été un intense bonheur : Gatti est tout simplement extraordinaire dans cet ouvrage, et que dire de la mise en scène de Robert Carsen… elle est extraordinaire ! La distribution était parfaitement équilibrée, d’une incroyable homogénéité, et le public nous a fait chaque soir un triomphe, les gens applaudissaient à tout rompre, c’était vraiment fou !

Malgré la crise du disque, vous êtes une des chanteuses qui enregistre le plus. C’est important pour vous ?

Oui, j’ai beaucoup de chance, j’en suis à mon treizième enregistrement là, et je ne dirais jamais assez merci à ceux qui m’ont fait – et me font – confiance. Chaque nouvel enregistrement est pour moi un vrai cadeau, et je ne refuse jamais quand on me propose d’en faire un ! Mais ce n’est pas un exercice facile, comme on pourrait le croire, car il faut que ce soit parfait ; il faut être en voix le jour où ça se passe, on se retrouve seul face à soi-même, et puis ce sont de longues sessions, il faut recommencer plein de fois, et c’est donc bien plus épuisant qu’un concert !

Comment vous préparez-vous à une prise de rôle, et quelles seront les prochaines ?

Je n’en ai pas beaucoup ces prochains temps, c’est plus l’année dernière qui a été complètement dingue à ce niveau là ! En 2014, j’ai enchaîné les prises de rôles : Tancrède de Rossini, Salomon de Haendel, Azucena dans Il Trovatore de Verdi et Dalila dans Samson et Dalila de Saint-Saëns. Je vous assure que c’est énorme et vraiment épuisant. Sinon, comment aborde t-on une prise de rôle ? Et bien avant tout avec sagesse… Mes engagements vont jusqu’en 2019 : il faut savoir si sa voix va évoluer dans le bon sens et sera apte à faire face aux exigences et aux difficultés vocales du personnage. Je ne peux malheureusement pas vous dévoiler ma prochaine prise de rôle, mais j’y travaille déjà, au piano, car je ne travaille jamais seule, et en l’occurence toujours avec mes deux pianistes attitrées, une qui est à Montréal quand je suis dans mon pays, et une autre à Bruxelles, quand je suis en Europe. Sinon, avant une prise de rôle, je prépare de mon côté le « squelette », puis j’arrive sans idées préconçues aux premières répétitions, que ce soit avec le chef d’orchestre ou le metteur en scène. Je veux leur faire confiance !

Propos recueillis à Montpellier par Emmanuel Andrieu

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