Forum Opéra – Un requiem au scalpel, 4♥

 

« […] Marie Nicole Lemieux s’y est montrée superlative, renversante, vocalement opulente (quels graves !), tour à tour voluptueuse, puissante ou recueillie. […] »

 
 

Un Requiem au scalpel

Il faut croire que le public attendait ce Requiem de Verdi : pas une place n’était libre dans la grande salle de la Philharmonie ce 12 février au soir. A en juger par la longueur des applaudissements et des rappels, il n’a pas regretté sa soirée. Et de fait, ce Requiem restera à l’évidence dans les mémoires.

Le mérite premier en revient au chef Gianandrea Noseda. Le chef italien a captivé le public pendant les 80 minutes du concert grâce à sa direction d’une tension inouïe, qui n’est pas sans rappeler celle de Carlos Kleiber dans Otello. Sous la plume de l’auteur de ces lignes, le compliment n’est pas mince.

L’auditeur est littéralement pris à la gorge dès les premières minutes et tenu en haleine jusqu’aux derniers murmures du Libera me. Cette direction repose sur des tempi allants, souvent véloces (le Dies Irae est pris à un train d’enfer, le tout est expédié en 1h20), un jeu savant sur les contrastes ainsi que sur une science consommée des transitions : du grand art ! Nulle langueur, nulle facilité : tout ici est drame, un drame crû et âpre, tracé au scalpel. Est-ce à dire que l’émotion est absente ? Heureusement non : un Recordare ou un Lacrymosa à faire pleurer les pierres prouvent magistralement le contraire, tout comme ces longues secondes de vrai et d’insondable silence après le dernier accord du Libera me. C’était le silence d’un public hébété, encore sous le choc.

Pour soutenir et donner chair à une telle vision, il faut une équipe qui suit. C’était, fort heureusement, le cas, à commencer par le quatuor de solistes.

La partie de mezzo-soprano est la plus développée des quatre parties solistes, Verdi a réservé ses plus belles pages à cette sœur vocale d’Amneris et d’Eboli. Marie-Nicole Lemieux s’y est montrée superlative, renversante, vocalement opulente (quels graves !), tour à tour voluptueuse (Liber scriptus), puissante, ou recueillie (sa ligne de chant dans le Lacrymosa est d’école). Elle a su en outre avec intelligence adapter son chant à celui de ses partenaires, notamment dans le Recordare où son duo avec la soprano était miraculeux d’équilibre suspendu.

Erika Grimaldi a été une heureuse découverte. Moins opulente que sa flamboyante consœur, sans être pour autant effacée, elle a pu déployer de réelles qualités vocales, à commencer par un legato de belle facture. Elle a été au rendez-vous d’un Libera me haletant, qu’elle a abordé avec une certaine prudence, mais dont elle est crânement venue à bout, en dosant habilement puissance (la montée finale tutta forza) et fragilité (la section médiane, a capella avec le chœur).

A Saimir Pirgu, on reconnaîtra une voix de ténor particulièrement avenante, un timbre chaleureux, et une puissance non négligeable. Cette voix, à l’évidence, est chez elle dans le répertoire verdien. Il est simplement dommage que ces qualités premières soient, par moments, voilées par une recherche d’effets trop appuyée, et confinant au maniérisme (l’attaque outrageusement détimbrée du Hostias: on ne chante pas une sérénade sous un balcon !), jusque dans les gestes démonstratifs (la main sur le cœur…) accompagnant un Ingemisco par ailleurs très bien tenu. M. Pirgu, à l’évidence, est plus dans son élément sur une scène d’opéra.

Michele Pertusi, plus en retrait du fait d’une moindre projection, ne déchoit pas pour autant : sa science est intacte, et se déploie notamment dans un Mors stupebit ou un Confutatis de premier ordre.

Pour de tels joyaux, il fallait un bel écrin. L’Orchestre de Paris et son chœur s’en sont chargés. On est admiratif devant le travail très fouillé réalisé par le chef avec l’orchestre. La richesse de l’orchestration de Verdi, trop souvent négligée, a été ainsi magnifiquement mise en valeur: on pourrait multiplier les exemples, on ne citera que le superbe solo de basson dans le Quid sum miser, ou les traits de violoncelle particulièrement éloquents après « Fons pietatis », à la fin du Rex tremendae, représentatifs de cette attention méticuleuse accordée à chaque pupitre, afin de magnifier la sève orchestrale d’un Verdi dans sa plus géniale maturité.

Le chœur de l’Orchestre de Paris, sous la houlette de Lionel Sow, s’est inséré dignement dans cet ensemble de haute volée. Une mise en place impeccable, notamment dans les fugues du Sanctus (l’heure de vérité pour le chœur, plus d’un, et des fameux, y ont sombré…) et du Libera me. Une très belle homogénéité des pupitres et un engagement irréprochable compensent largement un certain manque de projection (sans doute accentué par l’acoustique de la salle) et quelques menus défauts d’intonation (les voyelles trop ouvertes, et les consonnes parfois escamotées). Il faut rappeler ici que le chœur de l’Orchestre de Paris est composé de choristes amateurs, ce qui ne rend que plus remarquable sa prestation.

Cette soirée a, une nouvelle fois permis de vérifier qu’en musique, le tout vaut souvent mieux que la somme des parties. Solistes, chœur et orchestre ont été sublimés par la vision puissante et cohérente du chef qui, sans la moindre complaisance, a offert au public un drame terrible et nu, en lui permettant de regarder la mort en face. Le succès de cette soirée lui doit beaucoup. A la fin de son ultime salut, après de nombreux rappels, Gianandrea Noseda s’est retourné vers son pupitre, en a pris la partition, et l’a soulevée en direction de la salle, comme un trophée : manière élégante de rappeler que le succès premier revient au compositeur de cette œuvre unique.

 

Julien Marion | Forum Opéra, 12 février 2016

Le Requiem de Verdi à la Philharmonie de Paris les 12 & 14 février

 

Pour son premier concert dans la nouvelle Philharmonie de Paris, Marie-Nicole Lemieux se produira avec l’Orchestre de Paris, sous la direction de Gianandrea Noseda dans le Requiem de Giuseppe Verdi, aux côtés d’Erika Grimaldi, Saimir Pirgu et Michele Pertusi, les 12 et 14 février prochains.

 

► Le concert sera diffusé en direct le 12 février sur Radio Classique.

 

Direction musicale – Gianandrea Noseda

Soprano – Erika Grimaldi
Contralto – Marie-Nicole Lemieux
Ténor – Saimir Pirgu
Basse – Michele Pertusi

Orchestre de Paris
Choeur de l’Orchestre de Paris
Lionel Sow, chef de choeur

 

Plus d’informations ici.

Prix Opus du Concert de l’Année

 

Pour son concert « Prélude à la Nuit » donné le 4 juillet 2015 au Domaine Forget, Marie-Nicole Lemieux et I Musici, sous la direction de Jean-Marie Zeitouni, ont obtenu le Prix Opus du Concert de l’année dans la catégorie Musiques Classique, Romantique, Postromantique et Impressionniste.

Le prix leur a été décerné lors de la 19e édition du Gala des Prix Opus qui a eu lieu dimanche 7 février à la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal.

 

logo Conseil Québécois de la Musique

Verdi : Requiem

 

Direction musicale – Gianandrea Noseda

 

Soprano – Erika Grimaldi
Mezzo-soprano – Marie-Nicole Lemieux
Ténor – Saimir Pirgu
Basse – Michele Pertusi

 

Orchestre de Paris
Choeur de l’Orchestre de Paris

Chef de choeur – Lionel Sow

Nouveau CD à paraître chez Warner Classics

 

Le voile a été levé : les deux concerts « Rossini-ci » et « Rossini-là » les 2 et 3 décembre dernier à l’Opéra national de Montpellier ont été enregistrés en vue de la publication d’un nouveau CD sur le label Erato (Warner Classics) en janvier 2017, consacré au « cygne de Pesaro ».

Marie-Nicole Lemieux était entourée de Patrizia Ciofi et Julien Véronèse, et de l’Orchestre national de Montpellier sous la baguette du chef Enrique Mazzola.

 

Plus d’information sur les concerts ici.

Puccini : Madama Butterfly (Suzuki)

 

Concertgebouw (Amsterdam), version concert | Janvier 2016

 

Marie-Nicole Lemieux, who brought her potent dramatic presence to Suzuki. The extremes of her acerbic top and plunging contralto made Butterfly’s maid and companion both fierce-tempered and fiercely maternal. The orchestra was often a little too loud—a common issue at the Concertgebouw, where sound carries further than some conductors realise—but Ms Lemieux could easily counter the volume.

Jenny Camilleri | Opera Today,  21 janvier 2016

 

Naast Haroutounian schitterde de Canadese alt Marie-Nicole Lemieux als Suzuki. Met haar donkere stem met diepe laagte wist ze de zaal schitterend te vullen en in het duet waarin ze met Butterfly het huis met bloemen versiert, kwam haar stem prachtig samen met die van Haroutounian. Ik kende Lemieux vooral als barokzangeres, maar ze blijkt ook meer dan toegerust voor Puccini.
Outre Haroutounian, la contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux étincelait en Suzuki. Avec sa voix sombre aux graves profonds elle a réussi à remplir la salle, et dans le brillant duo avec Butterfly, où elles décorent la maison avec des fleurs, sa voix s’est magnifiquement accordée avec celle de Haroutounian . Je connaissais Lemieux essentiellement comme chanteuse baroque, mais elle se montre aussi plus qu’équipée pour Puccini.

Laura Roling | OperaMagazine.nl, 18 janvier 2016

 


Lemieux Butterfly Liceu Barcelona

Gran Teatre del Liceu (Barcelone) | Juillet 2013

 

Aunque cueste creerlo, se trataba del debut de Lemieux en el coliseo de las ramblas. (…) alegrémonos de habernos tropezado con la mejor Suzuki escuchada y vista (qué gran artista es la canadiense, además de voz espectacular y bien utilizada) sobre un escenario.

Jorge Binaghi | Mundo Clásico, 23 juillet 2013

 

Suzuki es uno de los personajes que siempre cuentan con el favor del público. No hubo excepción a la regla en esta ocasión y la canadiense Marie-Nicole Lemieux ofreció la voz más importante del cuarteto protagonista. Un lujo en el personaje.

Jose M. Irurzun | Beckmesser, 28 juillet 2013

Puccini : Madama Butterfly

 
 

Direction musicale – Karel Mark Chichon

 

Cio-Cio-San – Lianna Haroutounian
Suzuki – Marie-Nicole Lemieux
Pinkerton – Arnold Rutkowski
Sharpless – Angelo Veccia
Kate Pinkerton – Maria Fiselier
Goro – Ho-yoon Chung
Il Principe Yamadori – Yujoong Kim
Il Bonzo – Miklós Sebestyén
Lo zio Yakusidè – Hee-Saup Yoon
Il commissario imperiale – Enseok Choi
L’ufficiale del registo – Kyung-Il Ko
La madre di Cio-Cio-San – Ruth Willemse

 

Radio Filharmonisch Orkest
Groot Omroepkoor

 

Récital Rossini & Mozart

 

Direction musicale – Jean-Christophe Spinosi

Contralto – Marie-Nicole Lemieux

Ensemble Matheus

 

Gioachino Rossini | L’Italiana in Algieri
Ouverture
« Cruda sorte »
« Per lui che adoro »

Gioachino Rossini | La Cenerentola
Ouverture

Wolfgang Amadeus Mozart | Le Nozze di Figaro
« Voi che sapete »

Wolfgang Amadeus Mozart | Re Pastore
Ouverture

Wolfgang Amadeus Mozart | Le Nozze di Figaro
« Non so piu »

Gioachino Rossini | La Pietra del paragone
« Quel dirmi oh dio »

Joseph Haydn | Symphonie n°82, « L’Ours »
Final

Gioachino Rossini | Il Barbiere di Siviglia
« Una voce poco fa »

Opéra Online – Rencontre avec Marie-Nicole Lemieux

 

Après avoir été Lauréate du prestigieux Concours Reine Elizabeth de Belgique en 2000, la contralto Marie-Nicole Lemieux a entamé une carrière fulgurante, et s’est vue invitée par les plus grandes scènes internationales, comme récemment au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles pour Un ballo in maschera (en mai dernier) ou aux Chorégies d’Orange pour Il Trovatore (au mois d’août). Au-delà de la rareté de sa tessiture et de la beauté de sa voix, elle se distingue aussi par son énergie débordante, sa grande générosité et sa joie de vivre communicative – qualités que nous avons pu vérifier lors de cet entretien réalisé à Montpellier, où la chanteuse canadienne donne deux récitals entièrement consacrés à Rossini, concerts enregistrés par le label Erato en vue d’une prochaine commercialisation.

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Opera-Online : La musique baroque a beaucoup compté au début de votre carrière, mais vous semblez vous en écarter peu à peu pour aller vers un autre type de répertoire ?

Marie-Nicole Lemieux : En fait, le baroque a été comme « accidentel » pour moi, je n’avais jamais envisagé qu’il prendrait une telle importance dans ma vie, même si j’adorais cette musique, et que ma cd-thèque en était remplie. Le baroque m’a permis d’aborder très vite la scène, d’y faire mes premières armes, et aussi de rencontrer beaucoup de chanteurs, de chefs et de metteurs en scène formidables. Dés mes débuts, je savais que j’avais une vraie musicalité ainsi que cet aspect « bête de scène » qui à mon avis est quelque chose d’inné, qu’on possède ou pas. Par contre, toute jeune, j’avais une voix « courte », ce qui est très bien pour la musique baroque, mais moi j’avais envie de tout : je suis une gourmande, il n’y a qu’à voir mon physique ! (rires) J’aime toutes les époques dans la musique, du baroque au contemporain, et j’aurais été très triste de rester cantonnée seulement au baroque : j’aime trop Rossini et Verdi, dont je ne peux plus me passer aujourd’hui. Je vais bientôt chanter du Puccini et même du Mahler et du Wagner, tout me plaît et j’ai envie de tout faire ! (rires)

Vous donnez actuellement à Montpellier un double récital consacré à Rossini… C’est un compositeur qui est prépondérant dans votre carrière ?

Oui, Rossini ça a été une révélation ! Ce fut un tel bonheur pour moi quand j’ai chanté ma première Italienne à Alger à l’Opéra National de Lorraine ! Comme pour le baroque, il faut faire preuve de virtuosité, mais Rossini permet de respirer, alors que le baroque beaucoup moins : il me fait « mal au corps » et me donne des crampes partout ! Bizarrement, avec Rossini, on chante deux fois plus, mais on est deux fois moins fatigué à la fin d’une représentation ! (rires) Rossini, c’est organique, c’est bien fait, et puis il connaissait parfaitement la voix, le fait qu’il ait vécu avec la Colbran ne doit pas y être étranger…

Vous êtes contralto, la tessiture la plus rare du genre lyrique…

Oui, c’est une tessiture très particulière, qui est relativement rare, et je suis donc très chanceuse ! (rires) Par ailleurs, avec mon physique, si j’avais été soprano, je pense que j’aurais eu beaucoup moins d’engagements, que j’aurais mis beaucoup plus de temps à « percer ». Je sais parfaitement qu’à mes débuts, certains metteurs en scène ne m’ont pas engagée après m’avoir vue en photo, parce qu’ils cherchaient un physique plus « consensuel », et aujourd’hui encore beaucoup sont frileux avec ça… Pour revenir à la rareté de ma tessiture, ça a je crois beaucoup compté dans mon attribution du Premier prix au Concours de la Reine Elizabeth en 2000 : nous n’étions que deux contraltos pour une cinquantaine de sopranos ! Et puis aussi, contrairement à elles, je peux aborder tous les genres musicaux, et ça aussi c’est une grande chance. La plupart des sopranos sont cantonnées dans un certain type de répertoire : le baroque, Mozart, Strauss, Wagner etc. Moi, je peux tout faire ! (rires)

Certaines de vos consœurs n’aiment pas le récital… Vous semblez quant à vous adorer cet exercice ?

Oui, ça a été mon premier amour vous savez. Dès le départ, je me suis sentie récitaliste, ce qui ne m’a pas empêchée de travailler ma voix pour le répertoire lyrique. C’est bête, mais je pensais que le récital, c’était pour les gens qui n’avait pas de voix, et je me considérais dans cette catégorie à mes tous débuts. Et puis ma professeure de chant m’encourageait particulièrement dans cette voie là, car il y a beaucoup de chanteurs d’opéra, et finalement beaucoup moins de récitalistes. Ce goût du récital vient de mon enfance, j’ai été bercée dans ma jeunesse par la variété, avec des chanteurs comme Nana Mouskouri ou Claude François, Je viens de cet univers là, je connais par exemple par cœur toutes les chansons de Céline Dion ou de Diane Dufresne : je suis un vrai juke-box ! (rires) Et je ne renierai jamais ce genre musical, car ces chanteurs m’ont donné le goût du texte. Plus tard, dans la musique classique, j »ai été chercher ce côté spirituel qu’il y a dans la musique dite populaire. Certes la musique me transporte, mais c’est le texte qui lui donne tout son sens. Le récital, c’est l’essentiel de l’art lyrique, et même de la comédie, car on a seulement deux minutes pour raconter une histoire… C’est ma propre mise en scène, et c’est de moi que ça part et qui doit tout contrôler…

Cela dit, on sent que vous aimez beaucoup la scène. On a l’impression que le jeu d’acteur est aussi important que la performance vocale pour vous ?

Oui, et justement à l’inverse du récital, on peut se permettre de négliger la voix à l’opéra : Callas le faisait ! Dans un théâtre, il faut finir sur ses deux jambes, et c’est très facile pour des natures dans mon genre de trop donner et de « mourir » sur scène. Certains chanteurs ne sont pas assez généreux, et d’autres comme moi le sont trop ! (rires) C’est ma nature, j’ai l’impression que si je ne donne pas tout, les gens ne m’aimeront pas… En fait, c’est l’intention qui doit être honnête, le fait aussi de se respecter soi-même, de gérer suffisamment bien pour ne pas s’effondrer en cours de route ! (rires) Beaucoup de gens ne s’imaginent pas à quel point c’est dur d’être sur scène : nous sommes comme des athlètes de haut niveau nous autres les chanteurs, et ça exige parfois de nous des efforts quasi surhumains ! Et enfin, il ne faut pas croire, même après vingt ans de carrière, on a toujours la trouille… même quelqu’un comme Roberto Alagna avec qui je parlais de ça justement dernièrement.

Vous sortez tout juste de représentations de Falstaff où vous interprétiez le rôle de Mrs Quickly, à La Scala de Milan. A regarder votre planning, c’est le rôle que vous avez interprété – et allez interpréter – le plus souvent…

C’est exact, c’est un rôle que j’ai interprété plus de 70 fois ! Je peux dire que c’est MON rôle, qu’il est parfait pour moi, qu’il correspond à ma nature, et que je m’y « éclate » ! Je pourrais chanter le rôle la tête à l’envers, avec une épaule cassée, malade comme pas possible quoi ! (rires) Mais pour tout vous dire, plus encore que Mrs Quickly, le rôle qui me conviendrait plus encore, c’est celui de Falstaff ! (rires) Cet opéra est un chef d’œuvre, je ne m’en lasse pas. Je viens de le faire avec Daniele Gatti à La Scala – comme vous l’évoquiez à l’instant -, et ça a été un intense bonheur : Gatti est tout simplement extraordinaire dans cet ouvrage, et que dire de la mise en scène de Robert Carsen… elle est extraordinaire ! La distribution était parfaitement équilibrée, d’une incroyable homogénéité, et le public nous a fait chaque soir un triomphe, les gens applaudissaient à tout rompre, c’était vraiment fou !

Malgré la crise du disque, vous êtes une des chanteuses qui enregistre le plus. C’est important pour vous ?

Oui, j’ai beaucoup de chance, j’en suis à mon treizième enregistrement là, et je ne dirais jamais assez merci à ceux qui m’ont fait – et me font – confiance. Chaque nouvel enregistrement est pour moi un vrai cadeau, et je ne refuse jamais quand on me propose d’en faire un ! Mais ce n’est pas un exercice facile, comme on pourrait le croire, car il faut que ce soit parfait ; il faut être en voix le jour où ça se passe, on se retrouve seul face à soi-même, et puis ce sont de longues sessions, il faut recommencer plein de fois, et c’est donc bien plus épuisant qu’un concert !

Comment vous préparez-vous à une prise de rôle, et quelles seront les prochaines ?

Je n’en ai pas beaucoup ces prochains temps, c’est plus l’année dernière qui a été complètement dingue à ce niveau là ! En 2014, j’ai enchaîné les prises de rôles : Tancrède de Rossini, Salomon de Haendel, Azucena dans Il Trovatore de Verdi et Dalila dans Samson et Dalila de Saint-Saëns. Je vous assure que c’est énorme et vraiment épuisant. Sinon, comment aborde t-on une prise de rôle ? Et bien avant tout avec sagesse… Mes engagements vont jusqu’en 2019 : il faut savoir si sa voix va évoluer dans le bon sens et sera apte à faire face aux exigences et aux difficultés vocales du personnage. Je ne peux malheureusement pas vous dévoiler ma prochaine prise de rôle, mais j’y travaille déjà, au piano, car je ne travaille jamais seule, et en l’occurence toujours avec mes deux pianistes attitrées, une qui est à Montréal quand je suis dans mon pays, et une autre à Bruxelles, quand je suis en Europe. Sinon, avant une prise de rôle, je prépare de mon côté le « squelette », puis j’arrive sans idées préconçues aux premières répétitions, que ce soit avec le chef d’orchestre ou le metteur en scène. Je veux leur faire confiance !

Propos recueillis à Montpellier par Emmanuel Andrieu

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