Récital – La Passion Lemieux
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Salle Gaveau (Paris) | Février 2014

Avec Daniel Blumenthal (piano)

 

Le thème choisi de son récital Salle Gaveau est la passion de la cantatrice pour le chant et la musique, qui a poussée [Marie-Nicole Lemieux], il y a dix-sept ans, à mener une carrière lyrique, parcours fait de rencontres et d’émotions. Exercice difficile, car ce genre de thème transversal ne peut que mêler des éléments disparates. Et pourtant, l’exercice est plutôt réussi : ni ennui, ni regrets, la soirée est excellente. Robe couleur pavot à pois noirs, chevelure flamboyante, l’hôtesse – comme toujours rieuse – nous entraîne dans son univers en nous racontant de sa voix parlée haut perchée nombre d’anecdotes, avec son délicieux accent québécois malheureusement impossible à transcrire ici.
Le premier air, « Caro mio ben », premier qu’elle ait chanté en audition, évoque ses années d’études au conservatoire de Chicoutimi. C’est à la fois une mise en bouche et un exercice d’échauffement que connaissent tous les élèves de chant. Elle le distille avec soin et gourmandise ; mais déjà, on sent poindre, derrière la bonne élève appliquée, une vraie nature. « Il mio bel foco » qui suit a été son premier succès au conservatoire. Puis c’est son premier grand amour (musical), Franz Schubert, qu’elle interprète lors de sa première prestation en public : en raison d’une tempête de neige, il n’y avait que dix personnes dans la salle ! Les trois lieds choisis ce soir permettent à l’artiste de montrer diverses facettes de sa capacité à jouer une jeune femme mutine et sautillante puis à donner une dimension plus tragique, en passant même par la caricature en prenant un moment une attitude digne de sa compatriote Marie Dressler dont elle a hérité des dons comiques.
L’âme russe est un autre volet de ses passions : comme elle le souligne, elle habite sur le même parallèle que la Sibérie, les saisons sont les mêmes, et ce sont donc de part et d’autre les mêmes émotions que l’on vit et que l’on chante. De fait, son interprétation de Sergueï Rachmaninov est particulièrement convaincante, comme si la culture russe était tout à fait sienne. La première partie s’achève avec deux lied de Brahms. Surprise : à l’instar de Martha Argerich, Marie-Nicole Lemieux a fait venir des amis, et tout d’abord Antoine Tamestit qui va l’accompagner des riches sonorités de son alto, avec son excellent pianiste depuis plus de dix ans, Daniel Blumenthal. S’ensuit un moment de grande émotion ou les qualités de legato et de phrasé de la cantatrice s’unissent miraculeusement à celles des deux instrumentistes.
Continuant à détailler son parcours professionnel, Marie-Nicole entame la seconde partie avec le poignant « Erbarme dich » de la Passion selon Saint Matthieu, correspondant parfaitement à ses qualités vocales, et merveilleusement accompagnée au violon par Sarah Nemtanu. Moment d’émotion où la salle suspend son souffle, et vibre à l’unisson des musiciens. Brutal et salutaire contraste de Leipzig à l’Espagne, « car, souligne-t-elle, bien qu’il fasse froid, on a quand même le sang latin ! ». Quatre chansons populaires espagnoles de de Falla lui donnent l’occasion de se défouler, et de donner d’une voix dont elle avait jusque là soigneusement dosé le volume en regard de la taille de la salle Gaveau. Sans prendre des accents gutturaux, elle s’approprie fort bien ce répertoire particulier.
Nouveau contraste, Kurt Weill et son douloureux « Youkali », autre grand moment d’émotion. (…) Nouveau retournement, le calme joyeux de deux jeunes femmes espiègles s’amusant du piège qu’elles veulent tendre au comte Almaviva : la charmante « Canzonetta sull’aria » des Noces de Figaro nous transporte tout aussi brutalement à une autre époque, sans que l’on soit choqué le moins du monde. Gaëlle Arquez donne la réplique à Marie-Nicole Lemieux : que la cantatrice qui n’a pas un jour chanté dans d’autres tessitures lui jette la première pierre ! Notre diva s’en excuse : « Pardon pour l’écart de conduite ! ». Il lui sera beaucoup pardonné, car le résultat, la concernant, est tout à fait convaincant. Puis les deux amies retrouvent leur vraie tessiture pour la « Barcarole » des Contes d’Hoffman, montrant ainsi que, bien chanté, ce morceau de bravoure trop galvaudé garde un charme intact. L’air d’Isabella de L’Italienne à Alger, en fin de concert, était peut-être une gageure, dont on retiendra plus la variété des expressions que la légèreté des vocalises.
C’est dans de généreux bis que Marie-Nicole Lemieux va nous montrer une autre des multiples facettes de son talent : celle d’une merveilleuse diseuse, attentive au texte et à la prononciation, distillant chaque mot avec art et sens : « L’heure exquise », « Villanelle », « À Chloris », pourquoi en effet ne pas mêler Reynaldo Hahn et Berlioz, à l’image de tout ce récital atypique mais étonnant, raffiné et divers, reflet des interprétations et des goûts variés de la cantatrice.

Jean-Marc Humbert | Forum Opéra

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