Rossini : L’Italiana in Algeri (Isabella)

 

Théâtre des Champs-Elysées (Paris) | Juin 2014

Au meilleur de sa forme, Marie-Nicole Lemieux maîtrise toutes les ressources de son art, joue de son vibrato avec une aisance confondante, assombrit sa voix aussi vivement qu’elle fermerait les yeux, fait éclater ses aigus comme des gerbes. Il y a une telle générosité chez cette artiste que c’est elle avant tout qu’on retiendra de cette Italiana in Algeri donnée au Théâtre des Champs-Élysées »

Christian Wasselin | Webtheatre, 16 juin 2014

 

Marie-Nicole Lemieux, il est vrai au mieux de ses éclats, Isabella pétulante, y compris dans ses minauderies (parfois excessives) et son décolleté plongeant, dispensée à travers une colorature sans faille, un alto profond et une parfaite égalité de tessiture.

Pierre-René Serna | Concertclassic, 10 juin 2014


L'Italienne a Alger, Giocchino Rossini, Opera National de Lorraine, Direction musicale : Paolo Olmi, Mise en scène : David Hermann, Décors : Rifail Ajdarpasic. Isabella : Marie-Nicole Lemieux, Lindoro : Yijie Shi, Mustafà : Donato di Stefano, Taddeo, compagnon de Isabella : Nigel Smith, Elvira, sa femme : Yuree Jang, Zulma : Olga Privalova, Haly : Igor Gnidii. Nancy, FRANCE -14/02/2012

 

Opéra National de Lorraine (Nancy), 2012

C’est, bien sûr, Marie-Nicole Lemieux qui crée l’événement. (…) Sa voix est ample, sonore, homogène sur toute la longueur, pleine et généreuse dans le registre grave, insolente dans l’aigu (…). Quant à la présence scénique, elle est foudroyante; son Isabella déborde d’énergie, n’a aucune peine à jouer les séductrices (…) Une victoire pour les féministes! De toute évidence, la bouillonnante Canadienne vise désormais les grands contraltos, auxquels le Pesarais a consacré des pages inoubliables.

Michel Parouty | Opéra Magazine

 

Succédant in loco à Lucia Valentini-Terrani, qu’elle nous a confié profondément admirer, Marie-Nicole Lemieux aborde pour la première fois le rôle d’Isabella et réussit d’emblée une incarnation mémorable. La tessiture plutôt grave du rôle convient parfaitement à sa voix de contralto, cependant non dénuée d’aigus, sa forte personnalité emporte tout. Elle use de ses graves plantureux et de ses formes généreuses pour camper un personnage drôlissime et truculent. Irrésistible !

Michel Thomé | ResMusica, 20 février 2012

 

L’Opéra national de Lorraine offre à Marie-Nicole Lemieux sa première Isabella. Comme d’habitude, la contralto québécoise ne s’économise pas et a plus d’un tour dans sac : elle joue de son physique, accumule les mimiques, se déplace prestement, interagit avec ses partenaires de façon naturelle et, de surcroit, déploie un chant techniquement supérieur, fermement tenu et aux registres diversifiés.

Sébastien Foucart | Concertonet, 17 février 2012

 

Le plateau s’en donne à cœur joie, à commencer par Marie-Nicole Lemieux. Pouvait-on s’attendre à moins de la part d’une Mrs Quickly qui plus d’une fois a fait de l’ombre à Falstaff même ? Du tempérament à revendre, et un physique qui ne passe pas inaperçu, voilà ce qu’il faut à Isabella, qui les mène tous par le bout du nez, et fait sa propre loi jusqu’au fin fond de nulle part. Avec cela la rousseur d’une Rita Hayworth aux rotondités voluptueuses. Et surtout un contralto idéalement truculent.
Car bien plus que les travestis baroques, haendéliens ou vivaldiens d’ailleurs, la vocalité rossinienne flatte un instrument au potentiel immense. Dans le haut du registre, le timbre s’épanouit naturellement, d’une sensualité diaprée, quand le grave tonne, poitriné avec une irrésistible gouaille. Les agilités coulent de source, tour à tour langoureuses et facétieuses, tandis que le cantabile témoigne d’une tenue belcantiste – malmenée ailleurs par excès d’énergie héroïque – tout bonnement renversante.

Mehdi Mahdavi | Altamusica, 19 février 2012

 

La contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux endosse pour la première fois le rôle titre et manifestement s’en régale, jouant des rondeurs pulpeuses de sa silhouette comme de celles de sa voix qui déroule des coloratures d’ambre patinée.

Caroline Alexander | Webthea, 20 février 2012

Rossini : Tancredi (rôle-titre)

 

Théâtre des Champs-Elysées (Paris), Mai 2014

 

Quelle est donc cette mystérieuse alchimie qui préside à l’accord idéal de deux voix ? Pourquoi notre oreille se délecte-t-elle ainsi de la fusion entre le timbre argentin de la soprano Patrizia Ciofi et les sonorités mordorées de la mezzo Marie-Nicole Lemieux ? Comme autrefois Montserrat Caballé et Marilyn Horne, voici deux chanteuses magnifiques qui « font équipe » pour hisser leur art sur les cimes de l’Olympe lyrique. (…) Artiste généreuse, voix ample et facile sur l’ensemble de la tessiture, Marie-Nicole Lemieux a considérablement peaufiné l’unité entre les divers registres de sa voix, du plus grave aux aigus dardés comme de chevaleresques épées. Il faut (…) se laisser emporter par une musicalité sans affectation qui convient si bien au tempérament mélancolique de Tancrède.

Emmanuelle Giuliani | La Croix

 

L’absolu est atteint par le couple d’amoureux : Marie-Nicole Lemieux et son timbre riche et charnu, la ductilité de ses traits, sa présence scénique culminant dans une mort suspendue d’une grande beauté.

Marie-Aude Roux | Le Monde

 

Ce sont les deux rôles principaux qui font le prix de la soirée. La contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux met en valeur les sentiments tourmentés du rôle-titre, cet amoureux d’Amenaide banni de Syracuse depuis sa jeunesse, par une ligne de chant à la fois noble, ductile et parée de mille couleurs.

Philippe Venturini | Les Echos, 22 mai 2014

 

Marie-Nicole Lemieux dans cette prise de rôle réussit son passage au Rossini serio. Le chant, d’une sobriété bienvenue, n’a pas besoin de s’inventer des notes pour répondre aux exigences de la partition. La voix est longue, égale, déliée, la ligne tenue, l’accent prenant. « Di tanti palpiti » (de tant d’émois), cette aria di sortita qui fit le succès de l’opéra, est interprété avec l’ardeur juvénile qui convient. C’est pourtant la scène finale que l’on retient, auquel sied un dénuement dont Marie-Nicole Lemieux devrait faire plus souvent usage. Ce Tancredi existe aussi scéniquement, crédible dans son complet gris ou sa tenue d’officier avec cette barbiche rousse.

Christophe Rizoud | Forum Opéra, 19 mai 2014

 

La prestation la plus impressionnante, celle qui se détache du reste, c’est l’incarnation de Tancredi par Marie-Nicole Lemieux. Complètement travestie en homme, méconnaissable, la grande mezzo-soprano a créé l’illusion : le public ne s’est pas demandé à un seul instant ce qu’il devait penser du rôle (le héros masculin de l’opéra étant, sur scène, une femme), Tancredi était présent devant les spectateurs, animé par la fougue, débordant d’amour pour sa promise et bouillonnant de haine contre son rival. Son timbre chaleureux et sa technique impeccable se mêlaient harmonieusement au chant coloré de Patrizia Ciofi, qui jouait Amenaide.

Julie Jozwiak | Bachtrack, 29 mai 2014

 

La prise de rôle de la contralto canadienne était attendue. Tube de l’opéra, son air d’entrée « O patria… Di tanti palpiti… » montre la chanteuse à son meilleur, phrasant avec noblesse, sachant varier les couleurs mais se refusant à tout excès dans l’ornementation… (…) Jusqu’à la mort du héros, que Marie-Nicole Lemieux rend bouleversante.

Philippe Thanh | La Lettre du Musicien, 23 mai 2014

 

On attendait surtout, à vrai dire, le duo Patrizia Ciofi et Marie-Nicole Lemieux. Elles n’ont pas déçu (…) La mezzo canadienne (…) privilégie une conception très intériorisée du rôle, Tancrède victime du destin et de lui-même. Mais l’élégance du phrasé, la noblesse de l’incarnation emportent l’adhésion, la mort du héros, par sa sobriété dans le tragique, suscite l’émotion.

Didier van Moere | Concertonet, 19 mai 2014

 

Pour lui donner la réplique, Marie-Nicole Lemieux est une partenaire idéale. Les timbres des deux femmes se marient de façon parfaite, culminant dans un sublime duo d’amour au deuxième acte. Le rôle de Tancredi, surtout dans le finale tragique de Ferrare, donne lieu à très peu de déchaînements pyrotechniques, et la contralto est magnifique de sobriété et d’émotion contenue.

Catherine Scholler | ResMusica, 22 mai 2014

 

Premier Tancredi pour Marie-Nicole Lemieux et nouveau succès : phrasé avec art et délicatesse par une voix de bronze chaleureuse et généreuse, ce héros déborde d’une humanité bouleversante.

Michel Parouty | Diapason, 20 mai 2014

 

La Lemieux sfoggia una vocalità ricca, duttile e offre dei momenti pregevoli soprattutto nel canto misurato e nell’espressione lirica e patetica (la scena di sortita «Oh patria … Di tanti palpiti» strappa l’applauso fragoroso del pubblico). Si apprezza in lei, inoltre, la scelta di abbellire in maniera parca i recitativi e le arie.

Giovanni Andrea Sechi | L’Ape Musicale, 27 mai 2014

Tancredi | Théâtre des Champs-Élysées, 2014

 

« L’absolu est atteint par le couple d’amoureux : Marie-Nicole Lemieux et son timbre riche et charnu, la ductilité de ses traits, sa présence scénique culminant dans une mort suspendue d’une grande beauté. »

Le Monde

 

Direction musicale – Enrique Mazzola
Mise en scène – Jacques Osinski

avec Marie-Nicole Lemieux (Tancredi), Patrizia Ciofi (Amenaide), Antonino Siragusa (Argirio), Christian Helmer (Orbazzano), Josè Maria Lo Monaco (Isaura), Sarah Tynan (Roggiero)

 

Haendel : Solomon (rôle-titre)

 

Violons du Roy, Québec & Montréal | Mars 2014

 

Marie-Nicole Lemieux, as Solomon, provided a performance of vocal and musical distinction, but what was revelatory was her dramatic range and level of characterization. From her opening accompanied recitative “Almighty Power”, Lemieux provided a dazzling vocal display of unequivocal beauty. Armed with a limpid legato, intuitive musicality, expertly shaped and shaded phrasing and an awe-inspiring palette of expressive colours, she was almost operatic in her ability to sustain a character throughout the oratorio’s duration. Most impressive was her wondrous Act I aria, “Haste ,to the cedar grove” in which she plumbed every possible emotional level.

Richard Turp | Bachtrack, 23 mars 2014

La contralto Marie-Nicole Lemieux, l’interprète du rôle-titre, se révèle la clé de voûte de l’édifice, le centre de gravité de l’oeuvre. On dirait que la confiance, la ferveur et l’autorité qu’elle dégage se communiquent à ses partenaires de scène avant de rallier toute la salle.

Richard Boisvert | La Presse, 22 mars 2014

Récital – La Passion Lemieux

 

Salle Gaveau (Paris) | Février 2014

Avec Daniel Blumenthal (piano)

 

Le thème choisi de son récital Salle Gaveau est la passion de la cantatrice pour le chant et la musique, qui a poussée [Marie-Nicole Lemieux], il y a dix-sept ans, à mener une carrière lyrique, parcours fait de rencontres et d’émotions. Exercice difficile, car ce genre de thème transversal ne peut que mêler des éléments disparates. Et pourtant, l’exercice est plutôt réussi : ni ennui, ni regrets, la soirée est excellente. Robe couleur pavot à pois noirs, chevelure flamboyante, l’hôtesse – comme toujours rieuse – nous entraîne dans son univers en nous racontant de sa voix parlée haut perchée nombre d’anecdotes, avec son délicieux accent québécois malheureusement impossible à transcrire ici.
Le premier air, « Caro mio ben », premier qu’elle ait chanté en audition, évoque ses années d’études au conservatoire de Chicoutimi. C’est à la fois une mise en bouche et un exercice d’échauffement que connaissent tous les élèves de chant. Elle le distille avec soin et gourmandise ; mais déjà, on sent poindre, derrière la bonne élève appliquée, une vraie nature. « Il mio bel foco » qui suit a été son premier succès au conservatoire. Puis c’est son premier grand amour (musical), Franz Schubert, qu’elle interprète lors de sa première prestation en public : en raison d’une tempête de neige, il n’y avait que dix personnes dans la salle ! Les trois lieds choisis ce soir permettent à l’artiste de montrer diverses facettes de sa capacité à jouer une jeune femme mutine et sautillante puis à donner une dimension plus tragique, en passant même par la caricature en prenant un moment une attitude digne de sa compatriote Marie Dressler dont elle a hérité des dons comiques.
L’âme russe est un autre volet de ses passions : comme elle le souligne, elle habite sur le même parallèle que la Sibérie, les saisons sont les mêmes, et ce sont donc de part et d’autre les mêmes émotions que l’on vit et que l’on chante. De fait, son interprétation de Sergueï Rachmaninov est particulièrement convaincante, comme si la culture russe était tout à fait sienne. La première partie s’achève avec deux lied de Brahms. Surprise : à l’instar de Martha Argerich, Marie-Nicole Lemieux a fait venir des amis, et tout d’abord Antoine Tamestit qui va l’accompagner des riches sonorités de son alto, avec son excellent pianiste depuis plus de dix ans, Daniel Blumenthal. S’ensuit un moment de grande émotion ou les qualités de legato et de phrasé de la cantatrice s’unissent miraculeusement à celles des deux instrumentistes.
Continuant à détailler son parcours professionnel, Marie-Nicole entame la seconde partie avec le poignant « Erbarme dich » de la Passion selon Saint Matthieu, correspondant parfaitement à ses qualités vocales, et merveilleusement accompagnée au violon par Sarah Nemtanu. Moment d’émotion où la salle suspend son souffle, et vibre à l’unisson des musiciens. Brutal et salutaire contraste de Leipzig à l’Espagne, « car, souligne-t-elle, bien qu’il fasse froid, on a quand même le sang latin ! ». Quatre chansons populaires espagnoles de de Falla lui donnent l’occasion de se défouler, et de donner d’une voix dont elle avait jusque là soigneusement dosé le volume en regard de la taille de la salle Gaveau. Sans prendre des accents gutturaux, elle s’approprie fort bien ce répertoire particulier.
Nouveau contraste, Kurt Weill et son douloureux « Youkali », autre grand moment d’émotion. (…) Nouveau retournement, le calme joyeux de deux jeunes femmes espiègles s’amusant du piège qu’elles veulent tendre au comte Almaviva : la charmante « Canzonetta sull’aria » des Noces de Figaro nous transporte tout aussi brutalement à une autre époque, sans que l’on soit choqué le moins du monde. Gaëlle Arquez donne la réplique à Marie-Nicole Lemieux : que la cantatrice qui n’a pas un jour chanté dans d’autres tessitures lui jette la première pierre ! Notre diva s’en excuse : « Pardon pour l’écart de conduite ! ». Il lui sera beaucoup pardonné, car le résultat, la concernant, est tout à fait convaincant. Puis les deux amies retrouvent leur vraie tessiture pour la « Barcarole » des Contes d’Hoffman, montrant ainsi que, bien chanté, ce morceau de bravoure trop galvaudé garde un charme intact. L’air d’Isabella de L’Italienne à Alger, en fin de concert, était peut-être une gageure, dont on retiendra plus la variété des expressions que la légèreté des vocalises.
C’est dans de généreux bis que Marie-Nicole Lemieux va nous montrer une autre des multiples facettes de son talent : celle d’une merveilleuse diseuse, attentive au texte et à la prononciation, distillant chaque mot avec art et sens : « L’heure exquise », « Villanelle », « À Chloris », pourquoi en effet ne pas mêler Reynaldo Hahn et Berlioz, à l’image de tout ce récital atypique mais étonnant, raffiné et divers, reflet des interprétations et des goûts variés de la cantatrice.

Jean-Marc Humbert | Forum Opéra

Forum Opéra – Entretien avec Marie-Nicole Lemieux

 

Lauréate du concours Reine Elisabeth de Belgique en 2000, révélée dans Orlando furioso de Vivaldi, d’abord en concert, puis au disque et enfin à la scène, la contralto Marie-Nicole Lemieux est une des fortes personnalités du monde lyrique. Alors que vient de paraître le disque-florilège La Passion Lemieux (voir brève) et avant son récital parisien ce lundi 10 février, elle nous livre quelques réflexions sur ses projets présents et à venir.

 

Vous ne faites décidément rien comme tout le monde : vous avez attendu que l’année Verdi soit terminée pour ajouter à votre répertoire un grand rôle verdien, Azucena au prochain Festival de Salzbourg.

En fait, cela s’est décidé au cours de l’année Verdi. En janvier 2013, j’étais à La Scala pour chanter Quickly, et c’est alors que j’ai reçu cette offre. Alors que dans le monde de l’opéra, les contrats sont en général signés très longtemps à l’avance (je sais déjà que je chanterai en 2017 à l’opéra de Zurich, par exemple), les choses fonctionnent un peu différemment pour Salzbourg, ils s’y prennent au maximum deux ans avant. Quand on m’a proposé Le Trouvère, j’ai été rassurée de savoir que Daniele Gatti dirigerait, mais j’ai quand même voulu savoir quels seraient les autres membres du quatuor, parce que je ne voulais pas me retrouver avec des « gueuleux ». Et là, j’ai vu que j’aurais pour partenaires Anna Netrebko et Placido Domingo… De tous les rôles de contralto verdien que je pourrais interpréter, Azucena est sans doute la plus bel-cantiste, avec une partition qui explore aussi bien les aigus que les graves. Jusqu’ici, j’ai beaucoup chanté Quickly, j’ai aussi fait la partie de mezzo dans le Requiem, mais il y a beaucoup de rôles dont je rêve chez Verdi. On m’a proposé Ulrica, mais j’ai différé : comme Quickly, c’est un vrai contralto, mais très large. Avec un air comme « Rè dell’abisso », le danger est de trop ouvrir. Ce serait possible dans un petit théâtre. Amnéris, ce n’est pas pour tout de suite : le rôle est très long, il y a moins d’aigus que dans Azucena, mais c’est très héroïque, il faut soutenir jusqu’au bout. Quant à Eboli, c’est mon rêve. J’espère pouvoir le faire bientôt, c’est beaucoup plus court. Dans « O don fatale », le problème n’est pas le do bémol aigu, le problème c’est de soutenir jusqu’à la fin de l’air ! Enfin, si Azucena se passe bien, on verra.

 

Votre actualité immédiate, c’est Rossini, avec votre prise de rôle en Tancrède, en mai au Théâtre des Champs-Elysées, salle qui n’a pas toujours eu la main heureuse pour ses reprises de grandes œuvres du début du XIXe siècle, comme La Favorite ou La Vestale.

En fait, Rossini me semble être une bonne préparation pour faire Verdi. Rossini, c’est un baume, un médicament pour la voix. Quand j’ai chanté L’Italienne à Alger, si vous saviez les choses qui se sont débloquées dans ma voix ! Après, j’ai enchaîné avec Falstaff à Covent Garden, et il y avait tellement de choses qui s’ouvrait. Faire du beau avec la voix, ça fait du bien ; ce qui est dangereux, c’est l’exubérance, les couleurs trop osées, mais c’est dans ma personnalité ! Dans Tancrède, il va falloir que je garde une certaine noblesse, mais le chant devra rester libre. L’important, c’est de savoir doser les émotions. Quant au spectacle, je ne peux encore rien vous dire. En tout cas, je me donnerai au maximum pour que ce soit une réussite. Le contrat est signé, donc ça ne servirait à rien de contester les intentions du metteur en scène. Je dois adhérer, sinon ça ne donne rien. Après, avec le recul, je pourrai juger, mais sur le moment, je veux uniquement avoir une attitude constructive. J’y mettrai tout mon cœur. Je sais que je retrouverai Patrizia Ciofi, que j’aime beaucoup. J’ai été son Alisa dans Lucia di Lammermoor à Orange, et j’ai enregistré avec elle le disque Lamenti sous la direction d’Emmanuelle Haïm. Je la crois toujours sur le fil du rasoir, mais derrière sa fragilité apparente, Patrizia a une énorme force sous-jacente. C’est une battante, une vraie musicienne, une personne adorable avec qui j’ai très envie de faire de la musique.

 

Vous évoquez le risque qu’il y a à laisser parler votre exubérance naturelle. Comment faites-vous pour un rôle comme Geneviève, dans Pelléas et Mélisande ?

J’ai momentanément renoncé à Geneviève : la musique de Debussy est sublime, mais chanter cinq minutes seulement, ça me tue, c’est trop frustrant. Surtout quand on vous demande d’être présente pendant cinq semaines de répétition. Cela dit, la retenue est parfois une chose très positive. Cet été, j’ai fait Suzuki à Barcelone avec Patricia Racette, qui est une grande Butterfly. Nous travaillons toutes deux avec la même intensité. Pour la reprise de leur mise en scène, qui a dix-sept ans mais n’a pas pris une ride, Patrice Caurier et Moshe Leiser me demandaient de rester constamment tête baissée ; tout devait passer dans le regard, dans les épaules. Plus le jeu est sobre, plus il est essentiel d’avoir une présence forte. En même temps, c’est intéressant de ne pas être soi-même sur scène, d’explorer des rôles très différents de votre nature. J’aime les rôles de méchante : dans le magnifique Triptyque de Puccini monté par Damiano Michieletto au Theater An Der Wien en octobre 2012, j’étais la Zita et la Zia Principessa : j’étais horrible, et c’était drôle. A la fin de Suor Angelica, je sortais en larmes tous les soirs. Pour Geneviève, j’y reviendrai quand je serai plus âgée. C’est comme la Première Prieure dans Dialogues des carmélites : ce sera mon capital-retraite, pour le moment je suis encore jeune pour mourir pendant vingt minutes, j’ai tout mon temps. .

 

Vous avez chanté et enregistré avec votre compatriote Karina Gauvin, mais contrairement à elle, votre répertoire ne se borne pas à la musique baroque, qui vous a révélée.
Le monde des sopranos est très cruel, il y règne une concurrence féroce, et les metteurs en scène sont sans pitié avec elles. De nos jours, on exige des gens qui ont une silhouette de mannequin et souvent, en scène, on se retrouve avec des chanteuses qui ont le corps, mais pas la voix du personnage. Karina se sent un peu confinée dans un répertoire, alors qu’elle serait une mozartienne incroyable. C’est une comtesse formidable, merveilleuse. Je l’ai entendue être une Suzanne sublime, une vraie soubrette de Watteau. Elle pourrait aussi chanter Rossini, elle a l’agilité, la souplesse, la rondeur vocale nécessaires. Je suis bien contente de ne pas être soprano, car pour une contralto, le problème ne se pose pas de la même façon. Et puis je suis grande, j’ai une personnalité différente. Malgré tout, il y a des rôles qu’on ne me propose pas à cause de mon physique. Valérie Chevalier a été la première à me confier un rôle d’homme. Et c’est grâce à Michel Franck que j’ai pu être l’Orlando de Vivaldi en version scénique : dans un autre théâtre, on pensait que je serais incapable de tenir ce rôle sur scène. Il y a vraiment des gens qui manquent d’imagination ! Heureusement Pierre Audi m’a fait confiance, il m’a donné la possibilité d’interpréter un rôle écrasant et de réaliser une vraie performance. Beaucoup de gens ne m’ont pas reconnue : à l’entracte, des spectateurs venaient demander si j’étais malade, ils m’avaient prise pour un homme, pour un contre-ténor !

 

Qu’en est-il du répertoire français, celui que vous interprétez sur le disque Ne me refuse pas ?
Ça va venir, mais je n’ai pas vraiment le droit d’en parler pour le moment. Enfin, il y a un rôle qui me tient énormément à cœur, et que je me réjouis de pouvoir interpréter, deux fois, dans un avenir proche : Dalila, un personnage fascinant. Elle joue un double-jeu avec Samson, même si je pense qu’elle l’aime quand même. En tout cas, elle aime le voir souffrir ! Elle est complexe, comme toute femme, mais ses airs sont de véritables bonbons : la ligne musicale de « Printemps qui commence » est d’une telle sensualité… J’aimerais aussi beaucoup chanter La Favorite sur scène, j’aimerais faire Mignon, et surtout Werther. Charlotte est un rôle magnifique, c’est une femme qui a dû devenir une mère pour ses frères et sœurs, et qui est soumise à un dilemme terrible. Quant à savoir s’il faut une soprano ou une mezzo pour l’interpréter, peu importe au fond : ce qui compte, c’est que l’on comprenne le texte et que l’on soit touché. Massenet écrit toutes les nuances, donc quand on fait ce qu’il demande et qu’on y met du cœur, c’est le principal. Encore faut-il savoir articuler. Les Carmen qui ne savent pas prononcer leur texte, ça me met hors de moi. On m’avait proposé Carmen, mais le projet a été abandonné pour des raisons budgétaires. Je dois dire que ce n’est pas une priorité pour moi : cette œuvre est tellement connue qu’il faudrait vraiment que je trouve le metteur en scène idéal, qui apporte du nouveau. Si je fais Carmen, je ne voudrais pas être un cliché sur pattes. Il faudrait trouver le ton juste, et si on me propose une approche qui me convainc, je me donnerai à fond.

 

Au Canada, vous avez même participé à la création d’une œuvre écrite spécialement pour vous, Lettres de Madame Roy à sa fille Gabrielle.
C’est une œuvre très touchante, que je considère comme un cadeau de la vie. Gabrielle Roy est un de nos plus grands écrivains canadiens de langue française, c’est mon auteur préféré, il faut lire Bonheur d’occasion (Prix Femina 1945) ou son autobiographie posthume, La Détresse et l’enchantement. Michel Tremblay a imaginé une série de lettres écrite à Gabrielle Roy par sa mère, et je ne connais personne d’autre qui aurait aussi bien su décrire la relation maternelle. Il a su trouver des mots que ma mère pourrait m’adresser, à tel point que c’en est déroutant. André Gagnon a mis ces textes en musique de façon très mélodique, ce pourrait être des chansons hollywoodiennes des années 1920. C’est très beau, très bien écrit pour la voix. Et quand je chante ce cycle, je suis une mère qui parle à sa fille, mais j’ai l’impression d’être la fille qui lit les lettres. Il y a une mélodie qui parle admirablement de l’hiver, j’en ai la gorge nouée, et à la dernière, il m’est arrivé de pleurer en scène comme un bébé, tout le public braillait. Nous avons eu au Québec le prix du spectacle de l’année, et l’enregistrement est sorti chez Audiogram.

 

A propos de disque, vous êtes en France pour un nouvel enregistrement ?
Là non plus, je ne peux pas en dire trop ! Enfin, il s’agira d’un récital de mélodies, avec Roger Vignoles au piano et par un quatuor à cordes. Je n’aime pas la salade mélangée, je voulais trouver un thème. Beaucoup de compositeurs me tentaient, et je me suis finalement focalisée sur la fin-de-siècle, pour un portrait de la musique européenne entre 1890 et 1900. Il y aura des mélodies russes, allemandes, belges et françaises. L’enregistrement aura lieu fin février et le disque sortira dans un an, en même temps qu’une grande tournée européenne, où je reprendrai le programme du disque, plus du Brahms ou les airs enregistrés sur mon disque Heure exquise. A Vienne, par exemple, ils me veulent dans la mélodie française.

On a souvent l’impression que les artistes québécois chantent mieux le français que leurs homologues natifs de l’hexagone, qu’en pensez-vous ?
Je suis d’accord, et cela vient simplement de ce que nous, nous ouvrons la bouche. Chez vous, en France, les grandes et belles voix viennent souvent du sud, ce sont des gens qui ont déjà un accent un peu chantant (je pense à Ludovic Tézier, à Stéphane Degout) ; dans la moitié nord du pays, vous gardez la bouche très fermée, avec des voyelles extrêmement serrées, le i notamment. Vous avez des voyelles très claires quand vous parlez, mais en chant il n’y a rien de fixe, de clair. Quand une forme est trop précise, le son est écrasé. Pour chanter, il faut maintenir un équilibre entre le clair et l’obscur. Quand nous chantons, il y a comme une gaine qui se forme ; nous pouvons chanter sans notre accent québécois, mais avec la bouche ouverte. Il ne faut avoir les mêmes oreilles quand on parle et quand on chante. Il y a des gens qui veulent qu’on grasseye le R en chantant, je n’aime pas trop ça. J’aimerais beaucoup avoir le R de Suzanne Danco, une immense chanteuse, qui avait de sublimes couleurs de voyelles. C’est ça que je cherche à imiter. En fait, c’est une question d’imagination sonore !

 

Propos recueillis par Laurent Bury le 29 janvier 2014

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La Passion Lemieux

Un portrait de la contralto québécoise, entourée de ses complices de toujours, Philippe Jaroussky, Jean-Christophe Spinosi, Karina Gauvin…

 

Marie-Nicole Lemieux, contralto

avec
Karina Gauvin, soprano
Philippe Jaroussky, contre-ténor
François Lis, basse
Ensemble Matheus – Jean-Christophe Spinosi, chef d’orchestre
Il Complesso Barocco – Alan Curtis, chef d’orchestre
Les violons du Roy – Bernard Labadie, chef d’orchestre
Orchestre National de France – Fabien Gabel, chef d’orchestre

 

1. Haendel – Empio, diro, tu sei | Giulio Cesare
2. Gluck – Che faro senza euridice | Orfeo ed Euridice
3. Saint-Saëns – Mon coeur s’ouvre à ta voix | Samson et Dalila
4. Vivaldi – Dimmi pastore | La fida ninfa
5. Mozart – Voi, che sapete che cosa è amor | Le nozze di Figaro
6. Vivaldi – Aure lievi che spirate | La fida ninfa
7. Gluck – Jupiter, lance la foudre | Iphigénie en Aulide
8. Offenbach – Examinez bien ma figure | La fille du tambour-major
9. Vivaldi – Nel profondo | Orlando furioso
10. Mozart – Venga pur, minacci e frema | Mitridate, rè di Ponto
11. Berlioz – Je vais mourir | Les Troyens
12. Haendel – Al lampo dell’armi | Giulio Cesare
13. Mozart – Deh, per questo istante solo | La clemenza di Tito
14. – 15 Vivaldi – Infelice griselda… ho il cor già lacero | Griselda
16. Massenet – Ne me refuse pas | Hérodiade
17. Haendel – Caro! – bella! | Giulio Cesare

 

Paru le 27 janvier 2014 chez Naïve
EAN 822186053409 – REF V5340

Falstaff | Opéra de Montréal, 2013

 

« Quant à Marie-Nicole Lemieux, elle campe une Mrs. Quickly qui a du caractère, efficace, drôle mais c’est surtout la qualité de son chant qui est à retenir. Son timbre riche de contralto fait des merveilles. Une voix unique, reconnaissable parmi toutes. De plus, elle a le diable au corps et c’est elle qui mène le jeu. »

ResMusica

 

Direction musicale – Daniele Callegari
Mise en scène – David Gately

avec Oleg Bryjak (Sir John Falstaff), Jean-Michel Richer (Bardolfo), Ernesto Morillo (Pistola), Gianna Corbisiero (Alice Ford), Lauren Segal (Meg Page), Marie-Nicole Lemieux (Mistress Quickly), Gregory Dahl (Ford), Aline Kutan (Nannetta), Antonio Figueroa (Fenton), James McLennan (Le Docteur Cajus)

Lettres de Madame Roy à sa fille Gabrielle

Marie-Nicole Lemieux, contralto

Jacques Lacombe, chef d’orchestre
Orchestre Symphonique de Trois-Rivières

André Gagnon, composition
Michel Tremblay, textes
Inspiré de l’oeuvre de Gabrielle Roy

 

1. Où es-tu Gabrielle?
2. Miroir déformant
3. Courte semaine
4. Les grands blés
5. Souviens-toi
6. Surtout

 

Paru le 10 septembre 2013 chez Audiogram

Rossini : Petite Messe Solennelle

 

Théâtre des Champs-Elysées (Paris) | Mai 2013

 

L’Agnus Dei, cet adieu vibrant de Rossini à la voix de contralto, aurait fendu des pierres.

Christophe Rizoud | Forum Opéra, 6 mai 2013

 

Parecía imposible mantener el nivel de atención del público y de entrega y magisterio técnico y estilístico de Antonacci en su O salutaris hostia (núm. 6 y penúltimo), pero Lemieux lo consiguió en el final absoluto, ese Agnus Dei que Rossini reservó a uno de sus registros más amados y que, tal vez, haya sido su despedida de la voz humana: qué regalo espléndido a la humanidad y qué ejecución radiante. ¿Sería posible, digo yo, que alguien pensara en reunirlas para una Ermione?

Jorge Binaghi | Mundo Clásico, 6 mai 2013

 

Fort heureusement, nous fûmes sauvés de ce destin funeste par la compassion et l’amour de Marie-Nicole Lemieux, à qui revenait de conclure l’œuvre avec le chœur dans l’Agnus Dei. Restée sobre jusqu’alors, elle est soudainement toute en imploration pour que le pêché soit enlevé du monde, et elle réalise avec une charge émotionnelle sidérante la synthèse du religieux et du lyrique, portée par un orchestre et un chœur en état de grâce. Une performance d’autant plus remarquable qu’il s’agissait pour la contralto de sa première interprétation de cette œuvre en concert.

Jean-Christophe Le Toquin | ResMusica, 8 mai 2013